Historique du mot burnout : un mal ancien sous un nom moderne

On associe souvent le burnout à notre époque hyper-connectée. Pourtant, l’idée d’un épuisement mental profond, lié à une surcharge durable, remonte à plus de 150 ans. Son histoire est intimement liée à l’évolution du travail, de la psychologie, et de notre rapport au stress. Ce voyage historique montre que si le burnout porte un nom récent, ses racines sont bien plus anciennes — et sa réalité, bien plus complexe que la simple « fatigue professionnelle ».


1. XIXᵉ siècle : la « neurasthénie », ancêtre du burnout

C’est en 1869 que le terme neurasthénie apparaît. Le neurologue américain George Beard publie American Nervousness (1869)1 la décrit comme une maladie liée au rythme accéléré de la vie moderne. Les symptômes évoqués sont fatigue chronique, irritabilité, troubles du sommeil, difficulté à se concentrer.

Contexte de l’époque

Contrairement à ce qu’on imagine, les années 1870–1900 sont une période de révolution cognitive :

  • invention du télégraphe → communication quasi instantanée
  • urbanisation rapide
  • explosion du travail intellectuel (comptables, secrétaires, ingénieurs)
  • multiplication des décisions quotidiennes
  • début des transports rapides (train)

Les médecins notent que les individus sont confrontés à « trop d’informations » et « pas assez de temps pour s’en remettre ».

Cela ressemble déjà fortement à nos problématiques actuelles.


2. 1900–1930 : le « surmenage » et la fatigue industrielle

Au début du XXᵉ siècle, l’Europe et les États-Unis sont transformés par l’industrialisation.
Les rythmes de travail deviennent mécaniques et cadencés.

🏭 Le travail change radicalement

Avec le taylorisme2, on mesure tout : gestes, temps, productivité.

Les ouvriers doivent suivre des cadences strictes ; la fatigue devient un sujet de recherche.

Les médecins de l’époque observent :

  • une fatigue qui n’est plus seulement physique,
  • mais aussi mentale et nerveuse,
  • liée au rythme, à la monotonie, à la pression du rendement.

Le mot “surmenage” entre alors dans le vocabulaire médical.

Premières études officielles sur la fatigue

Pendant la Première Guerre mondiale, le Health of Munition Workers Committee (Royaume-Uni, 1915–1917) mène des enquêtes pionnières sur la fatigue des ouvriers.

Ces travaux montrent que :

  • les longues heures réduisent la productivité,
  • la fatigue mentale altère le jugement,
  • le manque de pauses provoque des erreurs.

Ce sont les premiers documents industriels qui montrent les conséquences d’une surcharge chronique.


3. 1930–1950 : guerres, stress et psychologie naissante

🪖 Stress psychique et fatigue de guerre

Les deux guerres mondiales mettent en lumière une nouvelle forme d’épuisement : la fatigue de combat ou « shell shock »3.

On commence à comprendre que l’épuisement peut être autant émotionnel que physique.

🧠 Naissance de la psychologie scientifique

Dans les années 1930–1950, des figures comme Hans Selye élaborent la théorie du stress4 (The General Adaptation Syndrome, 1950).

Il montre qu’un stress prolongé entraîne :

  • une phase d’alarme,
  • une phase de résistance,
  • une phase d’effondrement et d’épuisement.

La dernière phase est, biologiquement, l’équivalent du burnout moderne.


4. 1970 : naissance officielle du burnout

Le mot burnout apparaît pour la première fois dans la recherche scientifique en 1974.

Herbert Freudenberger (1974)5

Psychologue clinicien, il observe l’épuisement des bénévoles dans un centre de désintoxication.

Il décrit des personnes :

  • idéalistes au départ,
  • qui perdent motivation, énergie, empathie,
  • deviennent cyniques, irritables,
  • puis s’effondrent psychiquement.

Il nomme cela burn-out.

Christina Maslach & Susan Jackson (années 1980)6

Elles approfondissent le concept et créent la première échelle de mesure (le MBI, Maslach Burnout Inventory) définissant 3 dimensions :

  1. Épuisement émotionnel
  2. Dépersonnalisation / distance émotionnelle
  3. Diminution de l’accomplissement professionnel

5. 2019 : l’OMS reconnaît officiellement le burnout

Dans la CIM-117, l’OMS définit le terme burnout comme ceci :

« L’épuisement professionnel est un syndrome résultant d’un stress chronique au travail mal géré. Il se caractérise par trois dimensions : 1) une sensation d’épuisement ou de manque d’énergie ; 2) une distanciation mentale accrue par rapport à son travail, ou des sentiments de négativisme ou de cynisme à son égard ; et 3) un sentiment d’inefficacité et d’inaccomplissement. L’épuisement professionnel se réfère spécifiquement à des phénomènes survenant dans le contexte professionnel et ne doit pas être utilisé pour décrire des expériences vécues dans d’autres domaines de la vie. »

Il ne s’agit pas d’une maladie, mais d’un syndrome professionnel.
Cette définition est strictement appliquée au monde du travail pour des raisons administratives et épidémiologiques.


6. Pourtant… la recherche et la clinique montrent une réalité plus large

C’est ici que la complexité apparaît. Le burnout n’est jamais “purement professionnel” dans la vraie vie.

De nombreuses études montrent que d’autres facteurs jouent un rôle majeur :

  • conflits travail–famille8,9,
  • charge mentale domestique10,11
  • stress émotionnel12,13
  • niveau de soutien social14,15

Mécanismes neurobiologiques communs au stress chronique

Les travaux de neurosciences montrent que l’épuisement affecte :

  • l’amygdale (émotions),
  • le cortex préfrontal (prise de décision, recul),
  • les circuits de régulation du stress.

➡️ Voir article sur l’épuisement psychique vu par les neurosciences

Ces mécanismes ne sont pas spécifiques au travail : tout stress chronique peut provoquer un effondrement similaire.

Le burnout « professionnel » entraîne souvent des conséquences personnelles : plusieurs revues systématiques prospectives ont démontré qu’un syndrome d’épuisement lié au travail est un prédicteur de troubles physiques tels que le diabète de type 2, l’hypertension, les maladies cardiovasculaires, et de manifestations psychologiques comme l’insomnie ou la dépression16,17. Par ailleurs, une analyse plus récente souligne que l’épuisement professionnel, en défavorisant les ressources personnelles face aux exigences de travail, entraine un affaiblissement général du bien-être de l’individu avec des effets tangibles dans la vie privée18.

La littérature scientifique montre un continuum entre burnout, anxiété, dépression et épuisement global.


7. Santé mentale : grande cause nationale 2025

En 2025, le Gouvernement français fait de la santé mentale une grande cause nationale, sous le slogan « Parlons santé mentale ! ». Cette initiative vise à renforcer la compréhension, la prévention et la prise en charge de la santé psychique, dans toutes les sphères de la société19.

Chaque année, près de 13 millions de personnes en France sont concernées par un trouble psychique, et plus d’un Français sur deux déclare avoir vécu un épisode de souffrance psychique au cours des douze derniers mois.
Face à ce constat, quatre grands objectifs structurent cette mobilisation :

  • déstigmatiser la santé mentale, encore trop souvent taboue ;
  • renforcer la prévention et le repérage précoce ;
  • améliorer l’accès aux soins sur tout le territoire ;
  • accompagner les personnes concernées dans toutes les dimensions de leur vie quotidienne.

La question de la santé mentale au travail occupe une place centrale dans cette démarche. En 2023, les maladies psychiques reconnues d’origine professionnelle ont augmenté de 25 %, et plus de 12 000 accidents du travail étaient liés à des risques psychosociaux.
L’organisation du travail, la charge, l’autonomie, la reconnaissance et la qualité du management sont identifiés comme des leviers essentiels de prévention. L’OMS rappelle d’ailleurs que le bien-être des travailleurs constitue un facteur clé de santé publique et de performance durable.

Les employeurs ont, selon le Code du travail (article L4121-1), une obligation légale de protéger la santé physique et mentale des salariés. Cela inclut la prévention du stress, du harcèlement, des violences et du burn-out, à travers des actions de formation, d’adaptation du travail et d’évaluation des risques (notamment dans le DUERP).
Les acteurs de cette prévention — comité social et économique (CSE), services de prévention et de santé au travail (SPST), représentants du personnel — partagent la responsabilité d’agir ensemble pour préserver la santé mentale des salariés.

Plus largement, cette grande cause nationale rappelle que la santé mentale n’est pas une affaire individuelle, mais un enjeu collectif, social et professionnel. Parler de santé mentale, c’est aussi redonner une place légitime à la vulnérabilité, à la prévention et au soin, au cœur du monde du travail.


8. Pourquoi l’impression d’une explosion aujourd’hui ?

Parce que plusieurs facteurs modernes aggravent la situation :

  • hyperconnexion,
  • interruptions constantes,
  • emails et messageries 24/7,
  • multitâche permanent,
  • effacement des frontières travail/vie privée,
  • surcharge cognitive et émotionnelle.

Le cerveau humain, conçu pour une vie rythmée et prévisible, se retrouve confronté à une charge informationnelle inédite.


En résumé

Le burnout est ancien (neurasthénie, surmenage, fatigue nerveuse), scientifiquement formalisé en 1974, officiellement professionnel selon l’OMS, mais cliniquement global pour la plupart des personnes.

Ce n’est pas simplement un problème de travail : c’est un effondrement quand les demandes dépassent durablement les ressources, dans toutes les sphères de la vie.

Aujourd’hui, l’hyperconnexion, la pression émotionnelle et la charge mentale créent les conditions parfaites pour cet effondrement.

Le burnout n’est donc pas un phénomène nouveau : il est la version contemporaine d’un mal qui accompagne l’humain depuis le début de la modernité.

📚 Sources

  1. Beard, G. M.,1869. American Nervousness. ↩︎
  2. Taylor, F. W., 2011. The Principles of Scientific Management ↩︎
  3. Myers, C., 1915. Shell Shock in France ↩︎
  4. Selye, H., 1950. Stress and the General Adaptation Syndrome. British Medical Journal, 1, 1383-1392. https://doi.org/10.1136/bmj.1.4667.1383 ↩︎
  5. Freudenberger, H., 1974. Staff Burnout. ↩︎
  6. Maslach, C., & Jackson, S., 1981. The Measurement of Experienced Burnout. ↩︎
  7. Classification du burn out par l’OMS dans ICD11 ↩︎
  8. Netemeyer, R.G. et al. 1996. Development and Validation of Work-Family Conflict Scales. ↩︎
  9. Allen, T. et al. 2000. Consequences Associated with Work-to-Family Conflict. Journal of Occupational Health Psychology. ↩︎
  10. Peeters. 2005. How Job and Home Demands Are Related to Burnout ↩︎
  11. Aviv E, Waizman Y, Kim E, Liu J, Rodsky E, Saxbe D. Cognitive household labor: gender disparities and consequences for maternal mental health and wellbeing. Arch Womens Ment Health. 2025 Feb;28(1):5-14. doi: 10.1007/s00737-024-01490-w. Epub 2024 Jul 1. PMID: 38951218; PMCID: PMC11761833. ↩︎
  12. Alan Maddock, The Relationships between Stress, Burnout, Mental Health and Well-Being in Social Workers, The British Journal of Social Work, Volume 54, Issue 2, March 2024, Pages 668–686 ↩︎
  13. Khammissa RAG, Nemutandani S, Feller G, Lemmer J, Feller L. Burnout phenomenon: neurophysiological factors, clinical features, and aspects of management. J Int Med Res. 2022 Sep;50(9):3000605221106428. doi: 10.1177/03000605221106428. PMID: 36113033; PMCID: PMC9478693. ↩︎
  14. Ruisoto P, Ramírez MR, García PA, Paladines-Costa B, Vaca SL, Clemente-Suárez VJ. Social Support Mediates the Effect of Burnout on Health in Health Care Professionals. Front Psychol. 2021 Jan 13;11:623587. doi: 10.3389/fpsyg.2020.623587. PMID: 33519649; PMCID: PMC7838123. ↩︎
  15. Claponea RM, Iorga M. The Relationship between Burnout and Wellbeing Using Social Support, Organizational Justice, and Lifelong Learning in Healthcare Specialists from Romania. Medicina (Kaunas). 2023 Jul 24;59(7):1352. doi: 10.3390/medicina59071352. PMID: 37512163; PMCID: PMC10384079. ↩︎
  16. Salvagioni DAJ, Melanda FN, Mesas AE, González AD, Gabani FL, Andrade SM. Physical, psychological and occupational consequences of job burnout: A systematic review of prospective studies. 2017. PLoS One. 12(10):e0185781. doi: 10.1371/journal.pone.0185781. PMID: 28977041; PMCID: PMC5627926. ↩︎
  17. Kontoangelos K, Raptis A, Lambadiari V, Economou M, Tsiori S, Katsi V, Papageorgiou C, Martinaki S, Dimitriadis G, Papageorgiou C. 2022. Burnout Related to Diabetes Mellitus: A Critical Analysis. Clin Pract Epidemiol Ment Health. Oct 21;18:e174501792209010. doi: 10.2174/17450179-v18-e2209010. PMID: 37274843; PMCID: PMC10156041. ↩︎
  18. Demerouti, E., 2024. Burnout: a comprehensive review. European Journal of Work and Organizational Psychology. https://doi.org/10.1007/s41449-024-00452-3 ↩︎
  19. La santé mentale : grande cause nationale 2025 ↩︎